VALENTIN (nouvelle)

Publié le par MEL DELACROIX

 

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Je m’appelle Valentin et j’ai combattu le désespoir.

 

 J’ai survecu à la tyrannie et au chaos, aux feux de l’Enfer et à l’appel des abîmes. J’ai plongé au plus profond de mon âme pour y puiser le suc de mon existence, trompant l’ennui et la fatalité, bernant les serres acérées de la Grande faucheuse, embrassant l’Immortalité à pleine bouche.

 

Je suis Valentin et j’ai vaincu !



J’ai construis des temples en plaines d’Egypte et glorifié les Dieux du Nord, signé des pactes et ai accompagné des frères dans les tranchées, chevauché des steppes et brulé des deserts. J’ai partagé tant d’idées et d’espoir, tant de larmes et de victoires que ma longue chevelure au vent a blanchi, pailletée du sel des continents qui m’ont accueilli. J’ai semé et récolté, arraché et perdu l’innocence des hommes, lavé dans des torrents de honte toute ma fierté et mes idéaux.



Je n’ai vécu toutes ces vies à travers ces siècles que pour une seule et unique chose : rencontrer l’Amour Véritable.



Mais je n’ai pas su te trouver.



Je suis Valentin et je suis un guerrier. Et si mon âme ne suffit pas, je vendrais l’humanité. Le temps me sera un allié fidèle et mon orgueil le bouclier contre toute fatalité.



       

AVANT

 

Conjurant les maléfices et défiant les rêgles qui anéantirent ceux de ma race, faisant fi des trahisons et des défaites, des récoltes amères et des désirs brimés, oubliant pour survivre

jusqu’aux noms et visages, abandonnant l’humanité pour sans cesse renaitre, je cherchais à travers mondes et royaumes, traversant les océans belliqueux, le courage de ne pas renoncer et d’atteindre à nouveau le coeur et l’âme de ma bien-aimée, emportée en l’année maudite de 1349 par la deferlante noire qui sema chaos et peste en nos terres et fjords humiliés.

 

Je ne veux mourir sans pouvoir t’aimer.

 

AUJOURD’HUI

 

Le flottement des flammes nimbait ses longs cheveux blonds tressés, miel tutoyant le soleil et son corps diaphane convoquait tout l’amour du monde pour une valse infinie.

 

 Elle était la sculpture parfaite de la volupté en mouvement.

 

Elle se coulait vers moi, vaporeuse dans sa tunique de lin brodée de milliers de fleurs de lys, berceuse comme l’édredon rassurant, image sépia apaisante comme les douces nostalgies, langueurs d’automne, forêts rougeâtres et chevaux de bois qui n’iront jamais nulle part. Autour de notre duo tournoyaient colombes, ballerines idéales d’une chorégraphie celeste.

La charpente de la vieille cathédrale abandonnée offrait un voile protecteur. Mon regard ne pouvait se detourner de cette gracieuse présence, lumineux archange, ressentant ce halo á mês cotés en ce moment précis, comme inéxorable.

Au creux de ses mains s’offrait le talisman, réponse qui ôtait de mês nuits de calvaire le poids de la douleur et le goût âpre de la résignation.

…Peut-être la lumière était-elle differente, plus diffuse ? Le ciel menaçait, ouvrant ses bras et laissant enfin couler ses lourdes larmes, libératrices.

Je goûtais à ce moment précis l’essence même de mon existence. Etait-ce un moment d’égarement, je ne saurais le dire. Le décrire etait plus difficile encore. Dans le bruissement des feuillages, douce musique, irréel adagio, se promenant, m’emportant dans l’octobre.

 

Frissonnant, l’air grignotait chaque centimètres carrés de ma peau. Il y avait peu de monde alentour. Pourtant, si la saison contenait les debordements de dévotions, il restait dans le filet de brume quelques bribes de prières et le tapis de

marbre essuyait encore quelques genous et paumes bientot abimées. Ici et là, les larmes des dignes dames en noir n’aidaient pas plus leur lente progression. Le frottement des corps brisés contrastait avec le vindicatif martellement de la pluie.

Je plissais machinalement les yeux, un rayon de soleil téméraire s’aventurant , tel un index présomptueux, pointant l’oasis de prières tronant au sommet de la montagne, édifice de l’espoir érigé  en souvenir de trois enfants.

 

De mon séjour au Portugal, je n’attendais rien.

Tel un animal blessé, je venais m’y ressourcer et tenter de laver les plaies du passé. Plus lourds de quelques kilomètres entre moi et le désespoir, je comprenais qu’ici, c’était bien mieux que le paradis, c’était la terre, c’était aujourd’hui. Oublier le passé…et si être là, à présent, demandait des efforts, j’y trouvais aussi une certaine fierté.

 

HIER

 

Subissant tous les outrages, le temps avait creusé sa peau, ripant au passage ses doléances. Tout entravait sa progression : ses doutes, la fatigue et l’implacable fatalité. Chimére…?

Mais il avançait, comme l’océan rogne peu à peu les roches abruptes, confiant en sa propre destinée, éloignant les corbeaux d’un revers de main, de paroles ironiques ou de pleurs sourds.

Ceux qui le croisait ne pouvait comprendre et s’offusquaient, violentés par tant de pureté et d’abnégation déplacées dans un monde moisi par la déraison.

Il était de chair et de sang mais son âme avait été forgée par le marteau de Thor, puisant sa force au plus profond des tumultes de son coeur, esperant, préparant les futures moissons du bonheur.

Il en était convaincu et nul ne détournerait ses pas. Il avançait. Il n’avait pas le choix.

Pourtant, il était affaibli. Couleurs ternies, trainant comme autant de défaites le poids de sa crédulité, nocifs remords qui vrillaient, remplissant les pores de sa peau de l’acide de l’angoisse, allié insaisissable du mal-être.

 

Sur les champs de batailles, nulle faiblesse et la hargne comme étendart.

Mais le sang ne remplaçait ni le manque, ni l’abandon.

Il ne pouvait pas mourir. Mais il voulait la rejoindre.

En invoquant la Mort, il cherchait la renaissance.

 

AUJOURD’HUI

 

Je frappais avec le marteau en cuivre et la porte du monastère répondit, dévoilant un dallage léchant un parterre fleuri de marguerites où au centre tonnait un tronc d’arbre que je révais rempli de miel. Au-delà, le soleil se noyait et je pressais mês pas. Mês semelles frappaient les pierres tombales des riches donateurs et j’en ressentais presque une gène. A l’interieur de la petite salle bien mal éclairée, à l’abri de verres opalins, trônaient un solennel Saint Louis et plus loin encore, l´âme au bout des doigts, Saint François rendant un dernier hommage à son Père. Je m’imaginais toucher la résine froide et ressentir le vide de leur absence.

Le guide s’était assoupi, m’offrant ainsi les clés du royaume. Cela me semblait familier. J’aurais pu tutoyer les anges mais leurs yeux fixaient les cieux. Sur la croix, drastique, Jésus régnait.

Le musée fermait ses portes, accueillant alors un silence réparateur. Quittant l’endroit pour regagner en face la cathédrale abandonnée simplement surveillée par un chetif adolescent jouant au portier de fortune, je m’engageais pour quelques cents à ne pas rester trop longtemps.

Il n’y avait pas âme qui vive et le monstre de pierres était en ma possession. Même si la batîsse scellaient les émois du coeur, mês larmes coulaient, diamants fendus cliquetant dans une assourdissante plénitude. Les cierges à l’unisson, je contemplais le bois et le marbre, l’absence et le présent.

 

C’est alors qu’elle apparut.

 

HIER

 

Depuis la nuit des temps mon éxistence lui était dédiée. De ces cauchemars insondables d’un autre age qui le long de ma vie me laissait pantois et hagard, je comprenais enfin l’incroyable chemin qu’il m’avait fallu parcourir au travers d’une existence médiocre et bancale qui ne pouvait s’accomplir pleinement sans sa véritable essence. Des vies et des siècles de peine et de questions sans réponse aboutissaient ici et maintenant, dans cet univers qui

imposait le don de soi et la miséricorde, l’abandon de toutes les strates de l’orgueil et du vernis de la prétention.

Face à l’absolue vérité, elle était venue á moi.

Mês attentes les plus enfouies trouvaient alors l’écho qu’elles sollicitaient depuis que l’aube avait embrassé le monde, embrasé mon âme.

Je goutais l’irrémédiable ivresse de sa beauté dans cet infime espace qui sépare un souffle d’un autre. J’embrassais ses mains et déposait pour l’éternité au creux de sa gorge l’empreinte de mon être le plus profond, le témoignage séculaire d’une effroyable lignée, l’ultime romantique, le dernier des Vampires.

 

AUJOURD’HUI

 

A Fatima, contre toute attente, je rencontrais mon destin, partition gravée depuis l’aube des temps.

Son nom n’était pas Marie.

Mais Elodia chantait la Mélodie du Bonheur.

Ses gestes, ses yeux, sa voix enchanteresse prouvaient l’existence et la force du vocabulaire de l’Amour et de l’orthographe du Coeur.

Une conjugaison parfaite à tous les temps.

Elodia ouvrait mês yeux au Meilleur.

Quitter Porto n’était pas une priorité. Cette rencontre figeait le temps.

Longeant les rives du Douro, le coeur enlacé, je remerciais le ciel de son présent, Mon Elodia, mon âme-soeur, et l’embrassant tendrement, je souhaitais secretement ce bonheur à tous les déséspérés de l’amour que le monde porte en son sein.

 

DEMAIN

 

Aurais-je dû encore vivre milles vies et à chaque renaissance les oublier, j’avais enfin trouvé l’Amour Véritable.

 

 

Je m’appelle Valentin et j’ai vaincu la Fatalité.

 

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